Créer des objets 3D de haute qualité pour les expériences AR (Interview)

Créer des objets 3D de haute qualité pour les expériences AR (Interview)

Entretien avec Jelena, Lead 3D Artist chez SENAR

En tant que Lead 3D Artist, Jelena supervise la création de tous les objets 3D qui sont au cœur de nos simulateurs. Passionnée d'architecture et de jeux vidéo, elle pratique aussi la sculpture. Sa créativité se double d'une grande rigueur et précision, une alliance qui fait merveille pour la modélisation de simulateurs réalistes destinés à former des professionnels. Nous lui avons demandé de nous en dire plus sur son travail.

Quel est ton processus de création des objets 3D ?

Avant de commencer la modélisation 3D, je passe pas mal de temps à faire des recherches et à m'imprégner des caractéristiques de l'objet que je dois créer. Je rassemble autant de références que possible pour m'assurer de le connaître dans ses moindres détails, sous tous les angles. Je réunis photos, vidéos et croquis, puis, à partir de tout ce matériel, j'élabore un storyboard. Il m'aide à établir les lignes directrices pour la phase de création 3D.

Recherche de références avant la modélisation 3D

Pour la modélisation 3D, je procède toujours du plus simple vers le plus compliqué. Je commence par créer l'objet brut, à taille réelle, dans le logiciel que j'utilise le plus, 3ds Max. Je peux ainsi me faire une idée de l'atmosphère générale et de l'espace entre les différents parties de l'objet. Une fois cette étape terminée, je commence à ajouter plus de détails. Plus l'objet est grand, plus je consacre de temps à définir chacune de ses parties. En AR, l'utilisateur peut s'approcher physiquement des objets pour les observer de très près. Je dois donc avoir un extrême souci du détail, surtout lorsque je travaille sur des machines industrielles complexes. Je m'assure à tout moment que chaque composant est géométriquement correct. En outre, je dois toujours penser à l'aspect performance, c'est-à-dire concevoir la scène de façon à ce qu'elle puisse s'afficher en AR à une fréquence d'images élevée. Pour cela, je crée différents niveaux de détails, qui vont affiner le rendu des objets en fonction de la distance à laquelle l'utilisateur les observe. Les parties en "focus" à l'écran à un moment donné seront mieux définies que les autres objets de la scène. C'est un point capital pour la fluidité de l'expérience AR.

Le deuxième paramètre qui définit un objet est son jeu de textures. Une fois la modélisation terminée, je transfère l'objet vers un autre logiciel, Substance Painter. Là, j'ajoute les couleurs, je peins les surfaces et j'ajoute quantité de détails, notamment des effets de réflexions et de réfractions qui donnent du réalisme. À ce stade, je peux jouer avec les propriétés physiques de la lumière pour simuler de petits accidents de surface comme des fissures, des bosses ou d'autres détails qui ne sont pas définis par la géométrie. La création des textures est l'aspect de mon travail que je préfère. J'adore mettre en place différents procédés artistiques pour transformer complètement un objet 3D ; et faire d'une pièce de métal flambant neuve un vieux morceau de ferraille usé et rouillé. Jouer avec les textures est à la fois amusant et très gratifiant.

Modélisation 3D et création des textures

En fin de processus, j'ajoute tout ce qui est logos fabricants, signalétique de sécurité, étiquettes techniques et plaques d'identification, qui apportent un maximum de réalisme ! Ce sont des éléments que je dois souvent redessiner moi-même pour une meilleur lisibilité. Nos développeurs ont aussi créé un système qui traduit leurs textes selon la langue de l'utilisateur.

Simulateur de sécurité incendie en anglais & en français
Simulateur de formation à la sécurité incendie, en anglais et en français

Une fois mon travail terminé, je livre les modèles et les textures à nos codeurs Unity qui procèdent au rendu de la scène et en font un simulateur de formation pleinement fonctionnel et interactif.


Tes créations 3D sont utilisées à taille réelle, à des fins de formation. En quoi cela impacte-t-il ton travail ?

Pour que l'expérience AR soit optimale, je dois tenir compte de nombreux facteurs et exigences lors de la création des objets virtuels.Tout d'abord, je dois m'assurer qu'une fois affiché à taille réelle, l'objet 3D simulera son "jumeau" de la vie réelle avec un maximum de précision. Le nombre de polygones dans la géométrie et le niveau de qualité des textures impactent fortement la performance. L'AR gère mal les objets trop gourmands en ressources qui sur-sollicitent le processeur des mobiles. L'affichage d'objets grandeur nature requiert donc une optimisation et une organisation rigoureuse, au stade de la conception comme du rendu. Un objet manquant de réalisme serait inutile en formation, en particulier pour les scénarios d'inspection. Dans ce type de simulation, le rendu doit être parfait au pixel près car toute anomalie graphique pourrait être perçue, à tort, comme un défaut de l'objet.

Détails d'un harnais et d'un dispositif d'arrêt de chute, en AR

Qu'est-ce qui t'a fait évoluer de la 3D vers la 3D en AR ?

Je me suis toujours demandé à quoi ressembleraient mes créations dans la vie réelle. Plus jeune, j'ai beaucoup joué aux jeux vidéo, mais je n'imaginais pas alors pouvoir un jour interagir avec des objets virtuels. La première fois que je me suis retrouvée nez-à-nez avec l'une de mes créations, en AR, ça a été un grand moment pour moi ! Cela a définitivement changé ma façon de voir les choses et a piqué ma curiosité pour l'apprentissage des nouvelles technologies. La technologie de l'AR m'était familière, mais comme je travaillais à l'époque dans le secteur des jeux vidéo, elle me semblait appartenir à un avenir lointain ! A mon grand bonheur, ce futur s'est précipité lorsque j'ai intégré l'équipe de SENAR. J'ai alors pu approfondir ma connaissance de l'AR et me passionner pour ce sujet nouveau et stimulant. Avoir travaillé dans l'industrie du jeu vidéo m'a permis d'acquérir une grande expérience que j'utilise au quotidien dans mon travail, mais passer de la "simple" 3D à la 3D AR m'a ouvert un nouvel univers, qui m'a rendu encore plus exigeante avec mes propres réalisations.


As-tu acquis des compétences spécifiques pour travailler dans l'AR, et y en a-t-il que tu aimerais développer à l'avenir ?

Même si la création de textures est ma partie préférée, certains éléments nécessitent un soin particulier et ne sont pas faciles à manipuler avec les outils dont nous disposons aujourd'hui. De la même façon que je peux interagir avec mes objets en AR, je rêverais de pouvoir aussi les créer en AR. Cela m'aiderait à mieux appréhender la réalité de l'objet et ça serait vraiment fun !

J'ai la chance que nous ayons d'excellents développeurs dans l'équipe. Ils sont toujours là pour m'aider lorsque j'hésite sur un choix, et ils ont à coeur que chacun de mes modèles soit rendu le plus fidèlement possible dans Unity. Malheureusement, nous sommes encore limités par la technologie car nous devons nous en tenir à ce qui fonctionnera le mieux sur les mobiles des utilisateurs. J'espère que la technologie s'améliorera encore pour que, bientôt, nous n'ayons plus ces limites. J'ai vraiment hâte de pouvoir ajouter plus de paramètres physiques aux scènes, tels que la transparence, la translucidité et des lumières et des ombres mieux définies qui rendraient nos simulateurs encore plus réalistes.


Quel est l'objet AR que as-tu le plus aimé créer ou dont tu es la plus fière ?

Je dirais, le chariot élévateur. Même si c'est l'une des scènes les plus compliquées que j'ai eues à créer, j'ai adoré travailler sur ce simulateur. Ça a été un vrai challenge de créer les commandes de pilotage, et aussi de représenter des défauts qui soient visibles sans être trop évidents à trouver lors de l'inspection de sécurité. J'ai particulièrement aimé créer les textures des parties métalliques, encrassées, parfois piquées de rouille, et y ajouter plein de petits défauts.

Chariot élévateur avec des défauts, en AR

Mais le moment qui a été le plus drôle, c'est lorsque j'ai montré ce chariot en AR à mon père, qui est expert en véhicules industriels. J'étais trop fière de lui montrer comment j'avais recréé un engin qu'il voit tous les jours dans son travail ! Nous sommes allés le tester et le conduire sur mon iPad, dans la rue - les voisins se demandaient ce qu'on était en train de faire... On s'est vraiment amusé ! Il a vite saisi le fonctionnement des commandes, car elles lui étaient déjà familières.
Et il a enfin compris en quoi consiste exactement mon travail. 🙂


Quel simulateur t'a donné le plus de fil à retordre ?

Sans hésitation, les armoires électriques ! A cause de leurs centaines de câbles. C'est un travail assez frustrant. Il faut bien sûr s'assurer que chaque câble est connecté correctement, sinon le stagiaire pourrait le considérer à tort comme une anomalie lors de son analyse de risques. Fort heureusement, je n'ai pas eu à modéliser tous les câbles un par un. Mes chers codeurs ont eu l'idée de développer un module spécifique dans Unity. Ils m'ont ainsi épargné des heures d'une tâche vraiment fastidieuse.

Câblage d'une armoire électrique AR


Quel est le plus beau compliment que tu aies reçu d'un client de SENAR ?

J'avais du mal à juger la qualité de mon travail jusqu'à ce que nos clients nous félicitent sur le rendu de nos simulateurs. Leurs compliments me touchent parce qu'ils connaissent parfaitement la version réelle des objets et machines que je modélise pour eux. Par exemple, un instructeur en élingage chez ITI (International Training Institute) trouve que nos simulateurs AR facilitent son travail car ses stagiaires sont plus impliqués qu'avec les méthodes d'apprentissage traditionnelles. Lors d'une interview, il a déclaré :

"Selon moi, le fait que les éléments graphiques soient si bons est ce qui le rend le simulateur réellement efficace", explique-t-il. "Pour repérer un détail tel qu'une fissure capillaire sur une manille ou un crochet, le simulateur ne servirait à rien sans une très grande précision du graphisme."

C'est un compliment qui m'a fait vraiment très plaisir.

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